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Un peintre qui crée essentiellement une peinture figurative qu'on peut appeler fantastique, onirique, surréaliste,... Comme on veut... Bien que je ne sois pas insensible à toute forme d'art pourvu qu'elle me paraisse sincère et qu'elle provoque quelque chose en moi... Depuis toujours, je tente de peindre l'individu et la multitude, la matière brute et la lumière intérieure, l'arbre de vie, la femme et les racines, l'enfant et le devenir, la foule errante en quête de valeurs à retrouver, les voies parallèles, les mystères des origines et de la fin dernière... Les “SEUILS”, les félures, les passages qui font de nous d’ éternels errants insatisfaits entre mondes réels et rêvés , entre soi et autrui, entre Vie et Mort, entre bonheur et malheur... Un acte de peindre, nécessaire, à l'origine de rencontres furtives mais intenses, et qui fait naître, quelquefois, au bout d'un pinceau fragile, une parcelle de soi... ...ou tout simplement le plaisir et la douleur de créer...

mardi 19 novembre 2013

Le mythe identitaire. Episode 10. Réflexions personnelles, suite et conclusion.



 Toile de David Bowers
 
On va continuer dans la bonne humeur…
L'espérance semble s'épuiser dans un monde qui ne semble plus porteur de sens. Les questions existentielles refont donc surface plus que jamais: qui suis-je ? Quel sens donner à tout cela ?
Sur quel modèle construire une vie sans lien social évident, sans identité affirmée ?
Certains serrent alors les rangs autour d'idées simples et rassurantes, l'identité nationale par exemple, perçue comme un ordre naturel, éternel, enraciné, comme si elle avait toujours existé. Alors que nous venons de voir sa lente et laborieuse élaboration et sa complexité. Les nations, à la fois avides et malades de l'Europe, tendent vers le réflexe traditionnel des crises identitaires : crispation autour de l'idée de souveraineté nationale et nostalgie du paradis perdu. Ou plus encore, repli sur l'identité régionale ou le groupe communautaire. Idée simple et rassurante qui fera le terreau privilégié, le fondement de tous les partis ou groupuscules nationalistes. Perversion insidieuse où l'on voit la conscience nationale, forme élevée de la conscience collective, (même si l'accouchement se fit dans la douleur) s'incarner dans les expressions les plus outrancières et les plus sordides du nationalisme... Il y a bien un danger, faute de pouvoir construire sa propre identité, de se forger une identité négative, adopter un contre-modèle comme les jeunes néo nazis (mieux vaut être haïs et reconnus que ne pas exister).
Risque aussi de fuir la réalité dans les paradis artificiels ou de rejoindre la secte ou les intégrismes de tout bord, c'est-à-dire un groupe, une communauté pour chasser l'angoisse, se reconnaître dans l'autre et se rassurer au risque de succomber à la manipulation mentale.
Comment ne pas voir en effet que des réflexes communautaires se manifestent !
Les groupes de jeunes se reforment autour de modèles culturels (culture rap, techno, gothique, etc…), développant des comportements réflexes, refusant les auto-contraintes. S'individualisant en se regroupant par affinités identitaires.
Et paradoxe des paradoxes: l'individualiste par excellence, le toxicomane, entièrement replié sur lui-même et son produit, retrouve des pratiques communautaires, une vie de groupes, sécurisante, centrée uniquement sur la recherche du produit. Ainsi l'individualisme exacerbé a-t-il un point de rupture, de non retour, la solitude et la désespérance, qui peut conduire à des replis communautaires sous forme d'impasse.
On a donc l'impression, d'une manière générale, que le rituel social collectif, le ciment national, même s'il n'est qu'un mythe, a perdu ses vertus rassurantes, tranquillisantes. La confiance en un destin collectif guidé par des valeurs claires et reconnues de tous semble être battue en brèche. Vous pourriez me dire que les valeurs claires et affirmées qui ont mené la population d'avant 14 à la boucherie que l'on connaît, on s'en serait bien passées... Et c'est exact. Toute mythification exacerbée de valeurs collectives ne peut être que néfaste, autant qu'un individualisme forcené...
L'individu d'aujourd'hui justement devient peut-être plus performant d'un point de vue technologique mais s'isole de plus en plus au sein d'un monde où le sens semble absent. La réussite personnelle se fait bien souvent au détriment du lien social. Les rites collectifs se sont affadis, même s'il nous reste toujours les grandes messes sportives ou les jeux télévisés ! Le sentiment national n'a-t-il pas été aussi fortement ressenti qu'en 1998 lors de la victoire des Bleus ?….
Un monde qui tourne peu à peu au rythme de la roue de la fortune, des rêves dorés, … et des frustrations profondes. Un monde dont l'Art moderne s'est fait l'écho, en le cassant, en le fragmentant, en le déstructurant pour y chercher vainement l'âme des choses et le réduire au vide et au néant…
Autrefois, le paysan était lié au groupe par des liens très forts. Aujourd'hui, c'est dans les campagnes que le taux de suicide est le plus élevé… Notre paysan du moyen Age affrontait tous les jours la maladie et la mort mais ne se suicidait pas…
Il semblerait donc, qu'au cours des siècles, aidé certainement par la science et la chute des dogmes, l'individu se soit perçu de plus en plus comme unique, dominant un monde analysé, compris, asservi. Certes, il s'est libéré des traditions souvent pesantes, des soumissions dogmatiques, de ses peurs et superstitions mais peut-être finalement pour se replier d'abord sur la cellule familiale puis se retrouver seul face à lui-même, au siècle de Sartre et de Camus…
Ainsi, paradoxalement, c'est le contraire de ce qui était attendu qui s'est manifesté: atomisation de la société, individualisme croissant, diversification de la palette des individualités, et, quelquefois, l'angoisse au bout du chemin…
Et une nouvelle donne dont on ne peut encore mesurer les effets: les communautés qui se reforment dans la galaxie Internet….
Et pourtant chaque individu isolé semble se fondre dans une identité collective floue, contre laquelle certains se rebellent vainement, créée par le conditionnement médiatique, la culture de masse, la mode, la publicité, le politiquement correct, une sorte de nivellement général insidieux dont il n'est pas toujours facile de sortir…. Une fausse identité collective qui relève plus de la propagande sournoise et du bourrage de crâne pernicieux. La culture des élites semblerait, en voulant anéantir la culture populaire, avoir accouché finalement d'une culture de masse à l'élan irrésistible... La culture de masse, inhérente à notre société actuelle, est donc un mouvement vers des connaissances artistiques, culturelles, vers un système d'éducation, un mode de vie sociale et de pensée, un style de comportement, des actes de consommation, des codes de reconnaissance sociale. Ce mouvement induit une uniformisation de la perception de la réalité. L'impression paradoxale d'être tous des individus libres et différents au sein d'un modèle unique de société, la société libérale de consommation.
Le développement et la démocratisation de la technologie aidant, il semblerait bien que les valeurs bourgeoises se soient popularisées et non le contraire ! Louis XIV doit se retourner dans sa tombe… Le danger est que la culture de masse donne l'illusion du choix, qu'elle automatise la consommation et l'identification, que le consommateur est réduit à l'état d'objet et qu'elle substitue le conformisme à l'autonomie. Ne sommes nous pas tiraillés constamment entre nos désirs de libertés et d'autonomie et tout ce qui nous conditionne subtilement au point de nous donner l'illusion d'être libres ?
N'y a-t-il pas d'autres valeurs à placer au-dessus de nos différences ? Ne faut-il pas réaffirmer sans cesse que toute société, surtout laïque, est un creuset, un organisme vivant, complexe et évolutif où chacun s'efforce de se connaître d'abord et de reconnaître en l'autre cette part justement qui fait qu'il est autre ? A condition d'aller chercher au-delà des différences ce qui nous réunit, de placer au-dessus de ces différences les valeurs républicaines et laïques en ce qui nous concerne. C'est là peut-être que peut se poser le problème des musulmans pratiquants et appliquant la charia dans un état qui a déjà ses propres lois démocratiques...
Ne faut-il pas aussi relativiser ? Ce que nous vivons, rapporté à l'échelle du devenir historique, n'est qu'un épiphénomène, un hoquet de l'Histoire, une poussière dans le temps cosmique grossie par la loupe du Présent. Qui dit crise dit aussi mouvement, vie et vitalité, mutation et innovation.
Ne faut-il pas tenter, tout n'est pas à jeter chez nos ancêtres, de réinventer de nouveaux rapports humains qui passeraient par un nouveau rapport au monde, un humanisme laïc ouvert au spirituel et au Mystère… On a déjà beaucoup écrit sur le «réenchantement du monde». Inutile de se répéter... Mais cela me semble essentiel, Prendre ses distances vis à vis d'une vision mécaniste et cartésienne du monde qui nous a induit à penser que l'homme régnerait éternellement sur une nature-objet, corvéable à merci, et des animaux-machines utilisés et manipulés selon nos envies.
Peut-être aussi en essayant de ne pas confondre ordre et uniformisation, cohérence et nivellement aveugle, organisation et coercition, intégration et négation de l'être, ordre civil et ordre moral…. Préciser les concepts et réaffirmer les priorités auxquelles nous devons nous conformer.
Le rêve identitaire, l'utopie identitaire est tenace ! Le 19ème siècle a tout misé sur le colonialisme en imposant le modèle européen. On a appliqué aux peuples étrangers conquis les mêmes méthodes utilisées auparavant sur le territoire national. Il me vient toujours à l'esprit l'image finale d'un documentaire sur les Inuits, celle d 'un survivant jouissant du progrès apporté par les blancs, obèse, entouré de canettes de bière, l'oeil définitivement éteint, fixant le dernier horizon qu'il lui reste, la « neige » d'un écran de télé dont les programmes sont terminés depuis longtemps. Quant à notre 20ème siècle, il a payé un lourd tribut aux utopies totalitaires ... Mais aucun système, nazisme, stalinisme, maoïsme, n'a réussi, dans sa volonté forcenée à créer l'identité unique… Toutes ces tentatives ont fini par accoucher de leur contraire. Espérons qu'il en sera ainsi pour les Tibétains, les Kurdes, Les Tchétchènes. Sans tomber dans une frénésie indépendantiste...
Ainsi, dans un passé reculé, l'homme qui trouvait son identité au sein d'une variété infinie de processus collectifs, restait cependant victime de la toute puissance de la communauté. Paradoxalement, la technique de contraintes des corps et des esprits opérée dès le 17ème siècle lui ont permis en fait de s'affranchir, de s'autonomiser. Nous avons gagné en liberté mais nous le payons en responsabilité, en fragilité. Rien n'est plus difficile que d'être libre. A nous de savoir gérer cette nouvelle donne, à mi-chemin entre un individualisme égoïste, une excessive confiance en soi et le fonctionnement dogmatique et communautaire, l'abandon total de soi…
Quand il m'arrive d'être optimiste (si, si !..), je vois un monde comme une mosaïque où chaque identité, chaque vision du monde s'enrichirait l'une de l'autre avec comme point commun une supra-conscience, celle d'être avant tout un citoyen de ce monde, ce qui signifie responsabilité collective et consensus autour de grands valeurs admises par tous. Nous sommes des êtres de culture ce qui nous faits tous différents. Reconnaissons au moins, au-delà des faits culturels, notre appartenance à ce qui nous rend tous identique, l'espèce humaine, l'Homme, et reconnaissons lui des droits et des devoirs fondamentaux.
Pour ma part, j'ai essayé de me construire une identité à la fois par l'acte créatif (individualiste par essence) et par l'enseignement à travers lequel j'ai peut-être modestement contribué à éveiller quelques consciences, construire des identités, ouvrir des horizons.
Par une modeste participation à des associations venant en aide aux toxicomanes dont j'ai parlé plus haut…. La reconstruction d' identités anéanties.
Par la peinture, la création dont on accouche, seul, dans la joie ou dans la douleur, on est en phase avec ce qu'il y a au plus profond de soi et que l'on tente de communiquer aux autres. Quelquefois, on croit même aller au-delà de soi, présomptueux, croyant toucher, effleurer des vérités dissimulées, des Mystères à découvrir et à coucher sur la toile. Une quête où l'on peut se perdre... Quelquefois des rencontres étonnantes se font, des observateurs se reconnaissent littéralement dans l'objet créé, des identités se rejoignent, se reconnaissent. Pas besoin de mots, d'explications, c'est au-delà des formes et des couleurs, des représentations. Il y a comme une arche invisible, indicible qui s'est formée entre le créateur et l'observateur. Vous êtes alors récompensé de tous les moments de doutes, d'errements, de désillusions, d'efforts constants tant physiques que psychologiques. L'art est lumière et ténèbres, exaltation et découragement, tantôt le phare qui nous guide, le pain qui nourrit, tantôt la croix à porter, les chaînes qui nous empêchent d'aller vivre ailleurs ou autrement. Ce n'est pas un choix, c'est ainsi... Mais tant qu'on se bat, dans la joie ou dans la douleur, avec ou sans ses démons personnels, on vit, on se construit, on propose une identité à partager, à échanger!. On ne peut être utile aux autres si l'on s'enferme dans sa bulle mais on ne peut être aussi utile aux autres si l'on n'a pas d'abord gagné l'estime de soi, assis sa propre identité sur une base qu'on espère vraie et sincère...
Mais quand la lucidité reprend le dessus, (eh oui !) quand le désir disparaît (c'est d'ailleurs vrai pour la vie en général) que l'on se retrouve véritablement face au vide de soi et au trop plein du monde extérieur, je vois un monde où les puissants protègent à n'importe quel prix leurs acquis, où les pays émergents convoitent et font tout pour obtenir à n'importe quel prix ces acquis, un monde où dans certains pays on peut mourir d'obésité alors que la plus grande partie de la population de la planète n'a plus à s'inquiéter d'identité puisqu'elle n'en a plus: il ne lui reste que le problème de la survie au jour le jour.
Pour combien de temps encore ? Au moyen Age, le pauvre acceptait son sort (volonté divine…), on ne savait pas ce qui se passait à l'autre bout de la planète…. Mais la donne a changé et elle change chaque jour de plus en plus vite. Tout devient inextricable, tout s'interpénètre. Le sort de tous sera inévitablement lié au sort de chacun: nous ne pourrons plus longtemps cultiver «notre jardin» en ignorant l'horreur qui s'étend de plus en plus à nos portes… Les naufragés du désespoir nous le rappellent chaque jour, Une situation que nous avons contribué à créer en voulant imposer notre modèle identitaire à la belle époque de la colonisation puis en exploitant jusqu'à plus soif, pardonnez moi l'expression, ces pays par le biais des multinationales. L'Europe et ses certitudes vacille, son identité se fragilise sous les coups de boutoir des diversités qui réclament leur dû.
Mais que faire ? Quand tout semble hors de portée, aux mains d'un marché mondial qui semble presque incontrôlable même par les spécialistes eux-mêmes! Ecrire, penser, réfléchir, s'intéresser au spirituel, agir dans sa petite sphère sociale, certes, mais cela semble bien dérisoire face à une mondialisation mue que par l'intérêt financier… Que restera-t-il de notre vision du monde, de l'identité de chacun dans un monde du futur dominé par les puissances économiques ?...
Peut-être qu'alors l'utopie identitaire se réalisera enfin… Comme ne cesse de le prôner notre cher Attali. Un monde uniformisé à l'échelle de la planète, des citoyens du monde vivant de la même façon, absorbant la même culture, revêtant les mêmes vêtements, pensant de la même façon.... Le «meilleur des mondes possibles», quoi !...
Allez, je rigole, c'est de la S.F….. Non ?
Mais je ne serai plus là pour le constater, J'aurai rejoint, comme tant d'autres, la forme identitaire suprême, imparable, parfaite, commune à tous et à toutes. Non mythique, non élaborée par un projet humain par essence imparfait. Incontestable. Atomisé, volatilisé, parfaitement soluble dans le creuset identitaire par excellence, le Tout de la Nature ... J'aurai rejoint la Mort, le mythe identitaire enfin réalisé ...
Sources:
Johan Huizinga
L'Automne du Moyen Âge
Robert Muchembled
-Culture populaire et culture des élites dans la France moderne (XVe-XVIIIe siècle)
-La sorcière au village (XVe-XVIIIe siècle)
-L'invention de l'homme moderne. Sensibilités, mœurs et comportements collectifs sous l'Ancien Régime
François Lebrun
Croyances et cultures dans la France d'Ancien Régime
Norber Elias
La civilisation des mœurs
Louis Dollot
Culture individuelle et Culture de masse
Pierre Bourdieu
La distinction sociale
Michel Foucault
Histoire de la folie
Elisabeth Badinter
L'un est l'autre

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